"Je pense me souvenir, comme si c'était hier, du café Jahan. Il me semble bien que les cars Drouin se prenaient à proximité, et j'ai souvent, étant enfant, arpenté par tous les temps la voie bordant la route de Rennes, qui me menait de la fameuse côte de Gesvres à cet arrêt de car, dit "La Poste de Gesvres". Je revois mon tendre Grand-Père attablé devant une chopine de vin, les clients du village autour, les paroles diffusent et le bruit de ce lieu de détente et de convivialité. Je revois le comptoir sur la gauche, et même l'arrière salle, la cuisine, où le téléphone me permettait, à de trop rares moments, d'entendre la voix de ma maman trop souvent absente..... Ah, je revois la salle annexe du fameux jeu de boule typique, en terre battue aux bords relevés, l'odeur encore présente dans mon esprit, ces dimanches d'été où mon oncle y jouait....Le "ptit chemin" qui passait par derrière, longeant la nationale en passant par "Chez Claire", l'éternelle épicière qui vendait de tout dans ce bric à brac au plancher ciré craquant..... Vous me corrigerez si je me trompe...! Le Maréchal ferrant, Marcel Hubert.....La Belle Étoile, le café restaurant banquet, plus haut.....Chez Hardy, au bourg, Marie Basile, l'épicière.....Le bureau de tabac où j'y ai acheté mes premières clopes, en cachette..!!
Mon merveilleux Grand-Père, un "ptit" bonhomme à l'allure bien commune, prénommé Henri, alias Riquet qui, je l'ai appris bien des années plus tard, avait pour ainsi dire laissé faire la vie et son entreprise de maçonnerie / couvreur, suite à la mort tragique de son seul fils Henri, dit "Riri", tué accidentellement en moto au pied du calvaire situé à quelques centaines de mètres de chez ses parents où il habitait une chambre située près de la grange en haut de la côte de Gesvres. Cette grange et ses dépendances laissées à l'abandon après ce drame, elle servit plus tard, il me semble (sans certitude) à garer la 2CV du facteur. J'entends encore le puissant bruit des moteurs de camion, arrivant avec difficulté au sommet de cette fameuse côte, démultipliant leurs vitesses pour ne pas caler, ils faisaient vibrer les vitres de notre petite "bicoque". Et dans l'autre sens, les voitures rapides qui frôlaient à vive allure l'herbe près de la petite murette de pierre où je passais des heures, des jours, replié sur moi-même à attendre que ma maman ou mon papa viennent me voir....! Il fallait aller chercher l'eau au puits situé dans la cour de la grange en traversant cette route nationale très empruntée; je me demande comment mon frère et moi, ne nous sommes jamais faits faucher comme des escargots, par un conducteur en goguette. Chaque traversée représentait une bravoure, et une fois arrivé à l'autre bord, au puits, un sentiment mêlé de peur, d'interdit et de fierté me traversait le corps et l'esprit...mais il me faudrait faire la traversée en sens inverse, et muni de deux seaux pleins, rien n'était gagné d'avance malgré une visibilité plus dégagée sur le retour...
Mon cher et tendre Grand-Père, Henri Frangeul, pour qui j'ai gardé un immense respect mêlé de dignité, de sensibilité et de sagesse. Je le revois là, bien présent, dans cette maisonnette de deux petites pièces minuscules flanquées de cheminées, coupant les cheveux de quelques conscrits et, une fois par mois, le privilège de recevoir Monsieur le Curé pour lui faire une coupe en brosse de précision sur sa toison poivre et sel ! Quand ce n'était pas "Riquet le coiffeur", c'était "Riquet le magnétiseur" qui apaisait les brûlures, guérissait les petits bobos, donnait la tension ou encore devinait le sexe des bébés des mamans enceintes. Sacré Grand-Père, il avait aussi, je crois, dans sa jeunesse, animé les fêtes du bourg en jouant le clown sur les planches.... Il est parti trop tôt, fatigué par les drames de la vie, et usé prématurément par un violent accident de voiture sordide occasionné par un ami, venu le débaucher un soir d'été où tout était si calme, trop clame peut-être. Suite à cet accident où, après être mort cliniquement, il revint à lui, le corps en lambeau et le visage balafré, la vie devint sûrement encore plus monochrome... Pour seule consolation, l'acquisition d'un des tous premiers postes de télévision du village, en noir et blanc, acheté avec les quelques francs versés par la compagnie d'assurance pour seul dédommagement. Le sourire si merveilleux de mon Grand-Père qui autrefois illuminait son visage et ses yeux, avait laissé place à un demi masque quasi rigide et sans expression. Je me souviens, encore enfant, assis juste en face de lui pour manger, du bruit de sa soupe happée plus que de normal à cause de sa mâchoire devenue insensible. L'oeil gauche diminué par les cicatrices laissait parfois poindre une larme qui ruisselait doucement sur sa joue à son insu. Des séquelles encore présentes en étaient-elles la cause? Était-ce la souffrance d'une blessure encore présente dans son coeur, jamais refermée? Sûrement un peu des deux.
La condition humaine est parfois ainsi faite qu'elle ne nous laisse pas le choix de devoir trouver notre part de bonheur en quelque condition quelle qu'elle soit. Alors, certains soirs, après un repas frugal de soupe au pain ou de pommes de terre au lait de beurre de la Bâclais, cette nouvelle venue, cette boîte à images, remplaçait les contes d'antan de notre "Père" devenu plus silencieux. Grand-Mère et mon frère, tous les quatre assis là près du feu, fascinés par cette mystérieuse machine qui nous importait d'un autre monde, un peu de rires, de petits bouts de bonheur en dégustant une tablette de chocolat au lait et noisettes achetée chez Claire Garin juste avant la fermeture, à la tombée de la nuit...."
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