Le relais de Poste
A Treillières, La Poste de Gesvres est un lieu-dit situé à l’intersection de la route de Nantes à Rennes avec celle de Sucé à Vigneux. Ce nom vient d’un relais de Poste construit là (le bâtiment existe toujours), que les documents fiscaux mentionnent pour la première fois en 1741. Quatre ans plus tôt, en 1737, la route royale de Nantes à Rennes avait été « mise en Poste ». Vers 1803, le relais fut transféré en haut de la côte de Gesvres (actuel restaurant du Moulin blanc).
Les relais de Poste étaient établis toutes les 7 lieues (28 km) au 17e siècle (d’où les bottes de sept lieues des contes) puis toutes les 4 lieues au 18e siècle. Mis en place pour le relais et le repos des chevaux et de leurs cavaliers chargés de l’acheminement du courrier, ils accueillaient aussi les diligences et leurs voyageurs.
Chaque relais de Poste est dirigé par un Maître de Poste, responsable de la bonne marche du service à lui confié «de la part du Roy». Cela ne va pas sans poser problème car les liaisons entre Nantes et Rennes sont difficiles, irrégulières et longues (14 heures pour les voyageurs au 19e siècle et 6 jours pour les marchandises lourdes).
Après la pénible ascension de la côte de Gesvres, le relais de Poste offre un repos mérité aux hommes et aux chevaux. C’est un bâtiment massif, partagé entre le logement du Maître de Poste, l’auberge, et l’écurie, que surmontent d’immenses greniers contenant le fourrage nécessaire à la consommation des chevaux. Ceux-ci sont au nombre de 11 en 1791 : «Jupiter» de couleur noire âgé de 11 ans , «Le Dormeur» de couleur marron âgé de 8 ans, «Cadet» de couleur noire âgé de 6 ans, «La Biche» de couleur noire âgé de 6 ans, « La grosse grise » âgée de 10 ans, « La petite grise » âgée de 8 ans, « La grande jument noire » âgée de 6 ans, «Rondouin» de couleur marron âgé de 6 ans, «Babet» de couleur marron âgé de 8 ans, «Gringalet» de couleur marron âgé de 9 ans, «La Souris» de couleur grise âgé de 4 ans.
Avec ses écuries, retentissant nuit et jour du piaffement et des hennissements des chevaux, avec ses odeurs de cuir, de fer rougi, de fumier, et le pénétrant parfum du foin, le relais de Poste est un rendez-vous pittoresque. Chaque arrivée de diligence y provoque une brutale montée de tension ; cris des postillons dételant les chevaux pour les conduire à l’abreuvoir ; coups de marteau du maréchal ferrant réajustant un fer malmené par les pavés ; énervement des voyageurs s’engouffrant dans l’auberge pour y désaltérer leurs gosiers asséchés par la poussière du chemin ; ruades impatientes du nouvel attelage... Puis la diligence repart dans le claquement des fouets, laissant le relais à ses odeurs et à ses bruits habituels.
Le premier Maître de Poste connu est Guillaume Danguy, ou Tanguy (1742). Il quitte Treillières vers 1749. Son remplaçant est Jean Vincent, premier représentant à Treillières d’une famille importante qui tiendra la Poste jusqu’à la suppression officielle de la diligence (remplacée par le «Courrier d’Héric»), et qui donnera trois maires à la commune entre 1791 et 1890.
Le relais de Poste construit à Gesvres vers 1740 est perdu dans une lande déserte, seul édifice au bord de la route entre La Ménardais et La Sablonnais. La maison du bourg la plus proche est la ferme de La Gîte. Cette solitude s’explique par le déplacement du tracé du « Grand chemin » (ainsi désignait-on les grandes routes avant la Révolution) de Nantes à Rennes à la fin du 17e siècle. Celui-ci venant du moulin des Landes, passait au champ de foire et devant la métairie de la Gîte, descendait au château de Gesvres dont il traversait les deux cours et remontait le coteau vers les Dons pour rejoindre l’ancienne voie romaine de Nantes à Blain aux Brillats. La descente sur le Gesvres était particulièrement dangereuse. En 1660, le messager de Rennes se plaint qu’il ne peut plus faire Rennes-Nantes et retour en quatre jours à cause du mauvais état du chemin, surtout «à cause d’un endroit très dangereux qui est au delà du bourg de Treillières près la maison de Gesvres ou le dit suppliant se trouve souvent en danger d’y perdre ses chevaux...». Le seigneur de Gesvres, César de Renouard (1609 – 1675), qui souhaite goûter le repos dans son manoir fraîchement reconstruit (1653), profite de l’occasion pour proposer un nouveau tracé plus droit, plus court, plus commode, et surtout plus éloigné de sa demeure, allant de la Ménardais à la Poste de Gesvres… notre actuelle D 537.
La forge et son annexe
Le relais de Poste de Gesvres reste le seul gardien du « grand chemin » jusqu’en 1762 quand un maréchal ferrant décide d’installer son atelier en face du relais de Poste pour proposer ses services aux chevaux mal ferrés et entretenir leur harnachement ; il construit une maison dite alors de « La Sellerie » mais plus connue sous le nom de « La Forge » fonction qu’elle conservera jusqu’à la mort de son dernier forgeron, Marcel Hubert, en 1977. Le bâtiment, a été récemment réhabilité et transformé en logements sociaux.
Seul survivant de ce passé forgeron un petit édifice annexe maltraité par les ans et méprisé par les passants dépérit lentement au bord de la route. Il a gardé toutes les caractéristiques de l’architecture de son époque celle de la maison en terre que l’on retrouve beaucoup dans le bassin rennais : embase du mur en pierres de granit sur une hauteur variable, puis partie haute des murs en terre.
Malgré les outrages du temps et surtout ceux des hommes qui sans pitié lui accolent antenne, poteau électrique… il témoigne de ce que fut l’architecture rurale de la commune jusqu’à la fin du 19e siècle.
Issues du sol, les maisons nous parlent de la terre et des hommes qui les ont construites. Treillières a la chance d’être traversée par un filon de granulite et, de La Ménardais à La Loeuf, des générations de carriers ont extrait la pierre nécessaire aux constructions.
Les riches métairies et les demeures des plus fortunés du bourg sont toutes de pierre ; seuls les bâtiments à vocation agricole utilisent plus ou moins la terre. Mais dans les villages les paysans aux revenus plus modestes optent pour des constructions minimalistes et empiriques. Architectes et maçons, le savoir-faire se transmettant de génération en génération, ils accolent leurs maisons les unes aux autres, économisant les murs-pignons et donnant cet habitat en « barre » très caractéristique.
Quand la pierre est trop coûteuse ils se penchent sur le sol alentour pour en tirer la terre facile à mettre en œuvre : de la glaise bien molle mélangée à de la paille ou des résidus de « guinche » hachés (méthode dite de la bauge) et voilà la terre prête à être posée sur le solin de pierre à l’état brut ou en petites briques séchées au soleil. Sur la façade, rapidement enduite d’un mortier de chaux, la proportion de granit et de terre est un indicateur plus sûr de la richesse du propriétaire que la hauteur du tas de fumier au bord de la rue. Dans ces maisons aux murs fragiles ce qui frappe c’est l’importance des pleins par rapport aux vides. La façade principale, orientée au sud souffre une porte et, pas trop loin, une fenêtre au module très ramassé. L’accès au grenier se fait par une lucarne à laquelle on accède par une échelle.
Les bâtiments annexes (remises, étables, soues à cochons, caves…), comme c’est le cas de celui de La Forge, font la part belle à la terre. L’édifice repose sur un soubassement constitué d’un appareillage de granit ou de schiste. Le solin a une double fonction ; il constitue l’assise des murs et protège le bâti de l’humidité. La encore sa hauteur dépend de la richesse du propriétaire. Néanmoins la maçonnerie peut monter jusqu’au linteau des ouvertures assurant la solidité de l’ensemble des percements, protégeant ainsi de l’usure due aux passages fréquents. Pour les étables, le solin est systématiquement plus élevé car exposé aux chocs et aux déjections animales. Généralement il n’y a que deux ouvertures : la porte et, à l’opposé, un œil-de-bœuf cerné de bois pour assurer la ventilation du lieu.
Le temps a fait son œuvre dénudant les murs de terre où l'on retrouve des résidus de paille hachés
Les édifices en terre ont progressivement disparu de la commune à partir des années 1880. L’action de la pluie et du vent ont bien sûr altéré les murs mais, à une époque où le progrès pénètre les campagnes, ces modestes constructions témoignent d’un archaïsme et d’une pauvreté que l’on veut oublier : vive la pierre, la tôle puis le béton. La mort accidentelle du dernier forgeron de la Poste de Gesvres a plongé La Forge dans une longue léthargie permettant à son annexe de fêter cette année ses 250 ans. Cela mérite bien un toilettage. La restauration
Lors de la construction de logements dans le voisinage, la municipalité et l’association « Treillières au fil du temps » ont souhaité sauvegarder cet élément du patrimoine qui se dégradait.
Au nom de l’association Serge Libot s’est saisi du dossier et a lancé un processus de restauration qui devrait aboutir en juillet prochain. Les principes qui ont guidé les acteurs de cette restauration sont les suivants :
- sensibiliser la population à la nécessité de préserver le patrimoine en tant que composante de l’identité de la commune.
- valoriser l’histoire et le patrimoine local,
- permettre aux jeunes de la commune de s’approprier leur patrimoine en faisant participer les scolaires à la restauration
- créer du lien social et des liens intergénérationnels autour d'un travail réalisé en commun.
Cette restauration se fera sous la conduite d’une association chevronnée, basée à Rennes, « Tiez-Breiz Maisons et paysages de Bretagne » qui a pour objectifs généraux de participer à la connaissance et à la sauvegarde du patrimoine bâti breton et son intégration dans les paysages, ainsi qu'à la transmission des savoir-faire.
Témoin du passé de la commune le petit édifice de La Forge une fois restauré pourra devenir un outil pédagogique, une invitation à la promenade, point de départ d’un parcours balisé et expliqué à travers le bourg et son histoire car il a beaucoup à nous dire sur lui-même, comme on vient de le lire, mais aussi sur nous-mêmes.
Malgré son âge et sa modestie il parle avec force du passé et de l’avenir. Il raconte à sa façon ce qui fut un drame pour Treillières : le détournement de la route Nantes-Rennes qui en s’éloignant du bourg a plongé celui-ci dans l’atonie privant la commune d’un chef-lieu digne de ce nom. A partir de 1790 Treillières devient une commune bicéphale : la fonction politique (mairie) et une bonne partie de la fonction commerciale s’installe à Gesvres et peu à peu le long de la route de Rennes ne laissant au bourg que la fonction religieuse (l’église). La première école construite fuit le bourg pour s’installer dans la lande à mi-chemin entre église et mairie-auberge. Jusqu’en 1962 le bourg ne sera pas la principale agglomération de la commune. De cette situation étonnante va découler un esprit particulier fait certes d’une grande autonomie villageoise (mais au détriment parfois du développement économique local) et d’un repli sur un minuscule univers suffisant qui entretiendra très longtemps un sentiment de méfiance vis-à-vis du monde dont la rumeur parvient pourtant de la ville voisine.
Voilà ce que nous raconte la petite annexe de La Forge pour que, connaissant mieux notre passé avec ses atouts et ses faiblesses, nous soyons plus forts pour vivre le présent et préparer l’avenir.
Et c’est vers l’avenir que TAFDT veut maintenant se tourner. Lui redonner vie c’est d’abord ouvrir la restauration aux habitants volontaires motivés par la connaissance de techniques anciennes ou le simple coup de main. La transmission des savoir-faire passe par l’appropriation par les particuliers de techniques anciennes à même d’être réutilisées dans des rénovations locales de villages ou chez les particuliers.
Réhabilité le petit édifice de La Forge pourra servir aux logements attenants ou à la collectivité. Alors refaisons-lui une beauté pour célébrer son quart de millénaire.
Jean Bourgeon
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